Texte fondateur

  QUE VOULONS-NOUS ?

   Nous voulons mettre en évidence les tendances politiques qui traversent nos sociétés, montrer que les phénomènes évoqués se retrouvent aussi en Europe dans leurs contextes propres.  Nous voulons proposer - ici et maintenant- des alternatives aux thèmes utilisés par l’extrême droite et la gangrène qui gagne une grande partie de la classe politique et de la société. Seul un travail centré sur les réalités locales-régionales y répondra. Ce cadre évolutif est proposé aux citoyens qui se sentent concernés et  favorables à une démarche collective.

 

1. Un constat.

   La montée de l’extrême droite en Provence est une régression politique qui interpelle tout citoyen. Dans le Var, ses scores aux dernières élections municipales, départementales et régionales ont atteint des niveaux jamais atteints. La tradition de l’extrême droite n’est pas nouvelle, elle a culminé au début du XXe siècle avec l’affaire Dreyfus, l’idéologie forgée par le nationalisme réactionnaire de Charles Maurras et Maurice Barrès, l’assassinat de Jean Jaurès. Elle a donné naissance aux ligues fascisantes, anti-Front populaire, au développement d’une chasse à « l’ennemi intérieur », suivi par la collaboration avec le régime de Vichy. Auparavant, les crises sociales de la viticulture, celles de l’immigration italienne (lei babis, les crapauds en provençal) s’illustrèrent à Aigues Mortes, Marseille et Toulon par des ratonnades sanglantes en recherche de boucs émissaires. Après la Libération, l’extrême droite collaboratrice marginalisée s’est de nouveau manifestée avec la candidature de Tixier-Vignancourt (présidentielle de 1965) dont J-M Le Pen fut le secrétaire du comité de campagne avant de créer le Front National (1972). Les thèmes xénophobes, déguisés en défense de la « nationalité française » (les Français d’abord) et en dénonciation d’un pseudo « racisme anti-français » ont prolongé en soixante ans une tradition que l’on croyait révolue. L’extrême droite a repris ses thèmes traditionnels : xénophobie, nationalisme réactionnaire, antiparlementarisme variable selon les situations. Elle a su faire le grand écart face aux manifestations sociales comme le mouvement contre la « loi travail ». La « France apaisée » de Marine n’a jamais renoncé aux slogans racistes et réactionnaires du clan Le Pen. Mais elle n’est plus seule. Une droite extrême reprend les idées les plus réactionnaires avec un Sarkozy (hors-jeu) et un Fillon qui renoue avec une droite ultra conservatrice. La gauche de gouvernement a une responsabilité objective dans ce glissement vers des thèses « libérales ».

(D'autres ont suivi depuis et E. Macron, qui se prétend "ni de droite ni de gauche", a été élu au profit d'une classe dominante, tout au service de ses privilèges... Les nombreux mouvements sociaux (dont les Gilets jaunes) qui se développent depuis son élection participent d'une réaction de fond à sa politique anti-sociale.)

 

2. Des raisons multiples.   

   Ces idées réactionnaires ne tiennent pas à la seule idéologie de l’extrême droite mais à un contexte à la fois national-hexagonal, européen et mondial. Si la globalisation capitaliste s’est affirmée comme le seul « modèle » imposé aux peuples et aux nations, les conséquences socio-économiques ont marqué profondément les systèmes sociaux et politiques en Europe. La tradition de l’Etat-Nation, replié sur lui-même face à la construction européenne libérale, est confrontée à cette situation : respect de la concentration des capitaux et des richesses, de la financiarisation et des délocalisations, austérité économique qui accentue la pauvreté et la précarité, aggrave le chômage, atteint à présent les classes moyennes. Dans ce contexte, le gouvernement Valls-Hollande (avec Valls ou sans lui, aujourd’hui) s’est plié aux règles du libéralisme pour relancer une croissance illusoire, tout en respectant la logique productiviste et ses retombées négatives : grands travaux inutiles aux conséquences antisociales, politique énergétique fondée sur le nucléaire qui freine la conversion aux énergies nouvelles, politique des transports axée sur la grande vitesse aux dépens des transports de proximité et du service public. En Provence, cela s’est traduit par la déprise agricole et industrielle, la priorité donnée au tourisme, à l’artificialisation des terres et au BTP, à l’absence de filières de productions adaptées au pays et à ses savoir-faire. L’Etat sous-estime, voire ignore la crise écologique, les solutions de transformation ouvertes aux nouvelles dynamiques de solidarité comme à l’économie sociale. Ses relais en région ont privilégié la folklorisation de notre culture d’Oc au lieu d’en faire un facteur de dynamisation économique et culturelle. Autant de facteurs qui ont affaibli la démocratie locale dans ses multiples expressions, favorisé la montée des « populismes » présentés comme une alternative à « l’établissement » dont les remèdes sont pires que le mal.

 

3.Une constitution qui verrouille la démocratie et favorise le bipartisme.

   La constitution gaulliste (1958) continue de régenter la vie politique.  Au nom de la démocratie, elle a réduit le pouvoir du parlement, donné au Sénat un pouvoir de décision sur ce dernier et au chef de l’Etat un rôle central auquel l’article 16 renoue avec le bonapartisme des pleins pouvoirs. Dans ce système pyramidal, les élections se sont concentrées autour de l’élection présidentielle au suffrage universel et les élections législatives au scrutin majoritaire à deux tours ; la représentation proportionnelle n’est pas à la hauteur d’un régime démocratique. Le premier ministre utilise le 49-3 (85 fois depuis 1958, 5 fois avec M. Valls, candidat à la présidentielle qui annonce qu’il ne l’emploiera plus !), niant ainsi toute opposition parlementaire. Ce système favorise le désengagement civique (abstention grandissante depuis 2012) et les bouffées populistes (« tous pourris ! »).Quand la machine électorale se grippe, ce qui est le cas aujourd’hui après cinq ans de pouvoir d’une gauche de gouvernement acquise aux recettes libérales, une troisième composante vient bousculer les rapports de force. Résultat du jeu institutionnel, la tripolarisation entre en scène. Le parti frontiste a très bien compris que le système politique était à bout de souffle, que le « sursaut républicain » qui conclut toute élection centrale n’était qu’un pis-aller favorable à sa stratégie de conquête du pouvoir. Aujourd’hui, la majorité des partis de gauche s’est accommodée de cette constitution qui  aboutit à la reproduction du système présidentiel.

 

4. Un étatisme archaïque, un centralisme administratif et politique à l’opposé de la démocratie de proximité.

Les différentes réformes territoriales n’ont fait que déconcentrer le pouvoir central en s’appuyant sur les départements et les préfets. Les Régions sont des nains politiques sans les ressources permettant aux politiques de proximité de s’intégrer dans le contexte des régions d’Europe qui se développent. Leur récente réduction à 13 n’y change rien. La métropolisation en cours va accélérer les concentrations urbaines et la désertification de l’arrière-pays (80% de la population provençale sur la côte). Les petites communes sont contraintes de se réunir dans des conditions qui ne répondent pas toujours à l’intérêt des Communautés de communes elles-mêmes. Le centralisme est un archaïsme dans l’Europe des régions, une véritable « exception française » au service d’un Etat fort. L’extrême droite, favorable à un nationalisme archaïque et à un identitarisme fascisant y trouve toute sa place.

 

5. La société civile, une force muselée qui doit se libérer.

   Aujourd’hui, la majorité des partis de gauche se réclame d’une conception « républicaine ». Mais la nature monarco-républicaine de la constitution de la Ve République musèle la vie politique. La gauche s’est intégrée à ce système. Il en résulte un désaveu citoyen, une abstention grandissante, une droitisation du corps électoral, l’affaiblissement des partis et des syndicats, la neutralisation d’une grande partie de la société civile.

   Or c’est la société civile qui est aujourd’hui l’une des clés du changement démocratique face aux manoeuvres d’appareils. Toutes les mobilisations, à l’exception de la mobilisation syndicale contre la « loi travail »,  qui se sont organisées depuis cinq ans, l’ont été à l’initiative de la société civile ou de mouvements alternatifs : lutte pour une agriculture paysanne et contre la monoculture intensive (Sivens), défense des terres fertiles contre un aérodrome (Notre-Dame des Landes), luttes contre les grands projets inutiles (La LGV en Provence et dans le Var notamment), lutte contre les boues rouges (Alteo) dont les effets commencent à inquiéter la Commission européenne ; contre l’extension de l’ouverture libérale des marchés (Tafta, Ceta),  même si, à l’instar du mouvement « Nuit debout », il n’a pas débouché sur un rassemblement alternatif socialement diversifié. Mais le chemin est là, dans l’initiative populaire qui se construit en élargissant ses bases contre le productivisme, la forme dominante d’une conception rétrograde du développement, aux dépens des ressources limitées de la planète. D’autres luttes sont aussi le fait de la société civile ignorées par les médias ; comme la mobilisation pour la reconnaissance de la Charte européenne des langues régionales dont un vote peu glorieux du parlement (27 députés présents en nocturne) a muselé la ratification.

 

C’est ce cadre général et non exhaustif qui permet de comprendre la montée des idées de l’extrême droite, de la droite extrême et le recul démocratique en cours.

 

 

 

Catherine Olivier, Christian Ruperti, Jean-Pierre Salvador, Irène Tautil, Gérard Tautil

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